La Suisse dans l’histoire aura le dernier mot
Puisqu’elle est deux fois grande, étant pauvre, et là-haut ;
Puisqu’elle a sa montagne et qu’elle a sa cabane.
La houlette de Schwitz qu’une vierge enrubanne,
Fière, et, quand il le faut, se hérissant de clous,
Chasse les rois ainsi qu’elle chasse les loups.
Gloire au chaste pays que le Léman arrose !
A l’ombre du Meichthal, à l’ombre du Mont Rose,
La Suisse trait sa vache et vit paisiblement.
Sa blanche liberté s’adosse au firmament.
Le soleil, quand il vient dorer une chaumière,
Fait que le toit de paille est un toit de lumière ;
Telle est la Suisse, ayant l’honneur dans ses prés verts,
Et de son indigence éclairant l’univers.
Tant que les nations garderont leurs frontières,
La Suisse éclatera parmi les plus altières ;
Quand les peuples riront et s’embrasseront tous,
La Suisse sera douce au milieu des plus doux.
Suisse ! à l’heure où l’Europe marchera seule,
Tu verras accourir vers toi, sévère aïeule,
La jeune Humanité sous son chapeau de fleurs ;
Tes hommes bons seront chers aux hommes meilleurs ;
Les fléaux disparus, faux dieu, faux roi, faux prêtre,
Laisseront le front blanc de la paix apparaître ;
Et les peuples viendront en foule te bénir,
Quand la guerre mourra, quand, devant l’avenir,
On verra, dans l’horreur des tourbillons funèbres,
Se hâter pêle-mêle au milieu des ténèbres,
Comme d’affreux oiseaux heurtant leurs ailerons,
Une fuite effrénée et noire de clairons !
Victor Hugo
La Légende des siècles, XXXI, XVIIe siècle, Les Mercenaires